"Le Chêne" : valeur refuge.
Écho système
On se souvient peut-être que, pendant le confinement, il se fit entendre de curieux bruits d’oiseaux "inédits", comme si des espèces animalières à nous inconnues venaient s'aventurer au pied de nos existences bien rangées. C’est un peu dans cette situation que nous met la vision du Chêne, l'impression étant renforcée par le choix des auteurs de n'accompagner le film d’aucune voix off. En plus du chêne (situé en Sologne), la place d'honneur est donc donnée à la multitude d'espèces animales (écureuils, chouettes, geais, charançons, fourmis ...) que l'arbre accueille en son sein majestueux, tout un écosystème sur lequel se focalise une caméra virtuose (et, à l’occasion, virtuelle).
Scandé par les différentes saisons (mais on nous épargne le trop prévisible Vivaldi) et quelques morceaux de bravoure (un orage, la chute des glands ...), l'ensemble communique cette sensation de grouillement du vivant sous toutes ses formes, où plane au passage l'ombre de la mort (la neige pétrifiante, une chasse rapace), avant que ne se profile le retour du printemps.
Récit naturaliste
Il y a certes, dans le découpage, quelques "manipulations" d'ordre anthropomorphique, telle la découverte d’un serpent qui crée une complicité objective entre les différents animaux y voyant une menace, ou bien des plans "subjectifs" qui paraissent élaborer de toutes pièces un "point de vue" de l'animal (la chouette, le mulot), ces différents aspects du film étant sans doute liés au parti pris des auteurs d'avoir recours à un story board. C'est ainsi que, pour reprendre l'expression du co-réalisateur Laurent Charbonnier, Le Chêne peut devenir un "récit naturaliste de cinéma" qui nous désigne le phénomène de la vie comme une immense aventure (un "suspens", dit Charbonnier), à la fois étrangement inquiétante et terriblement proche de notre humaine condition.
Symphonie du vivant
L'absence de toute voix off rendait particulièrement cruciale et délicate le choix d’une musique "d'accompagnement", dans la mesure où le chant des bêtes constitue à lui seul une symphonie bien concrète. C'est ainsi que, à côté de quelques standards empruntés à Dean Martin (Sway), Glenn Miller (In The Mood revisité par Keith Lockhart en 1996) ou bien Haendel (Lascia ch'io pianga), les auteurs ont confié au compositeur Cyrille Aufort (Splice, 2009, Un Homme idéal, 2015, L’Empereur, 2017 ...) l'écriture d’une musique originale. Cette dernière, loin de se cantonner à n'être qu'une musique à programme (telle que Richard Strauss a pu en écrire) constitue un excellent biotope aux images tour à tour effrayantes ou touchantes que nous offre Le Chêne. Sans être redondante, cette partition accomplit parfaitement cette "recherche de la proximité" qui est l'intention avouée du compositeur.
Mais le film est aussi une invite à la rêverie, et sans doute à la réflexion, du spectateur, qui ne pourra trouver meilleur support à ses méditations que la chanson Et tu restes, à la fois zen et minimaliste, écrite et composée par Tim Dup, un jeune artiste lui-même sensible à la protection de la biodiversité.
En ces temps troublés que nous vivons, on ne peut donc que recommander une oeuvre qui, dans son foisonnement, constitue aussi bien un éloge des racines que du refuge.
Comment êtes-vous arrivé sur le projet du film ? C'est la superviseure musicale, Varda Kakon, qui a donné mon nom à Laurent Charbonnier et Michel Seydoux. J'avais auparavant travaillé pour les films de Luc Jacquet comme La Glace et le Ciel ou L'Empereur. Avec Le Chêne, j'ai été séduit par ce conte qui a pour pivot central ce patriarche qu'est l'arbre. J'ai pu voir un story-board très écrit. Je savais aussi qu'il n'y aurait pas de voix-off et que la narration viendrait aussi beaucoup du son. Quand on compose la bande originale d'un film qui tourne autour de la nature, est-ce qu'on se replonge dans les grands classiques, comme par exemple, La Symphonie Pastorale de Beethoven, Les Quatre Saisons de Vivaldi, ou Le Sacre du Printemps de Stravinski ? J'ai effectivement regardé le langage utilisé par ces grands compositeurs. J'ai, par exemple, réécouté la Moldau de Bedrich Smetana. Mais souvent, ce sont de grands gestes musicaux, très amples. Or, avec Le Chêne, j'étais davantage dans la recherche de la proximité. Ce qui ne correspondait pas à ces grands poèmes symphoniques. La composition d'une bande originale pour ce conte animalier diverge de celle d'un film classique, non ? Comme il n'y a ni dialogues ni voix-off, la musique va davantage accompagner la narration que d'ordinaire. Elle peut, par exemple, suggérer ce qu'on ne voit pas à l'écran. Jean-Paul Rappeneau disait : "quand la musique dit la même chose que ce qu'on voit à l'image, alors elle est inutile". Prenons la course d'un écureuil : sans musique, il y a certaines choses de la scène qui échapperont peut-être au spectateur. En ce qui me concerne, je vois le film sans musique, comme un long bout-à-bout et je demande au réalisateur de m'expliquer, en termes simples, ce qu'il veut que le spectateur ressente. Et je fais part de mes propres impressions. Une chose est sûre : la musique ne doit pas "meubler" mais être nécessaire. Comment avez-vous conçu la musique du film ? Au départ, j'ai proposé trois thèmes très différents. La problématique, c'est qu'on a ce chêne qui ne bouge pas, qui, contrairement à un acteur, n'a pas d'expression. Alors comment faire passer l'émotion ? Nous avons opté pour un thème qui donne une unité avec un chœur puis repris à l'orchestre. J'avais envie d'une mélodie majestueuse. Mais ce thème peut se décliner. J'en ai, par exemple, repris une partie pour une scène avec les mulots. Je voulais lui donner une couleur un peu plus "film d'action". J'ai utilisé le thème tout en lui conférant un petit côté "Mission Impossible", quelque chose de furtif, comme dans les films d'espionnage. Elaborer la musique d'un film, c'est aussi être capable de voir quand il risque d'y en avoir trop. S'il y en a plus que de raison, elle perd de son relief. Pour cela, il faut donc prendre du recul. Et parvenir à trouver l'équilibre entre elle et les silences.
Le Chêne et ses habitants (Heart Of Oak) (2022). Réalisateurs : Michel Seydoux, Laurent Charbonnier. Scénario : Michel Fessler, Michel Seydoux, Laurent Charbonnier (idée originale). Storyboard : Vincent Coperet. Premier assistant réalisateur : Julien Le Roux. Photo : Mathieu Giombini. Prises de vue sauvages : Laurent Charbonnier. Prises de vue macro : Samuel Guiton. Son : Martine Todisco, Samy Bardet, Philippe Penot, Marc Doisne. Montage : Sylvie Lager. Décors : David Faivre. Conseiller technique : Guillaume Poyet. Musique : Cyrille Aufort, Tim Dup (chanson originale Et tu restes). Labels : Music Box Records, Sony Music Entertainment. Superviseure musicale : Varda Kakon. Directeur de production : Philippe Baisadouli. Producteurs : Barthelemy Fougea, Michel Seydoux. Production : Camera One, Winds, Gaumont. Date de sortie : 13 février 2022 (Festival International du Film de Berlin), 23 février 2022 (France).
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